En ce début 2024, l’archevêque de Marseille a promulgué une charte de protection des mineurs et des personnes vulnérables du diocèse de Marseille, destinée à prévenir les abus. Église à Marseille en publie le texte en intégralité (lire en page 15). Emmanuelle Maupomé, religieuse auxiliatrice, pédopsychiatre et déléguée diocésaine du service « Agir contre les abus », explique l’enjeu de cette charte, qui fait suite à d’autres initiatives que le diocèse avait déjà prises pour prévenir et détecter les abus et mettre en place des mécanismes d’alerte, d’action et d’accompagnement.
Pourquoi le diocèse promulgue-t-il aujourd’hui une charte de protection des mineurs et des personnes vulnérables ?
Cette charte vient compléter le dispositif de prévention et de détection des abus mis progressivement en place par le diocèse de Marseille depuis quelques années, avec une spécificité locale que je souligne : il ne s’agit pas de traiter ici uniquement les violences à caractère sexuel, qui sont celles dont on parle le plus, mais les abus d’une façon générale, les abus de pouvoir, les cas d’emprise spirituelle, etc. Je rappelle qu’il existe déjà dans le diocèse une cellule d’écoute et d’accueil, composée d’une avocate, d’une pédopsychiatre, d’une psychologue et d’une professionnelle de l’enseignement. Pour lui donner plus de poids, le diocèse a fait le choix de nommer une personne pour coordonner cette cellule et c’est avec cette mission que je suis arrivée ici il y a un peu plus d’un an. Auparavant, une convention avait été signée entre le diocèse de Marseille et le procureur de la République de Marseille, si bien que, désormais, tout signalement de faits sexuels sur mineur ou personne vulnérable qui parvient au diocèse est transmis au procureur qui, le cas échéant, ouvre une enquête. Et nous aimerions mettre en place des rencontres régulières entre l’équipe de la cellule, du diocèse et du procureur pour assurer un suivi de ces affaires. Aujourd’hui, la charte marque une nouvelle étape dans le dispositif de prévention des abus, puisqu’elle s’impose à toute personne en lien avec des mineurs ou des personnes vulnérables, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent dans beaucoup de lieux ou de services d’Église.
Le terme « mineur » est clairement défini. Mais qu’entend-on par « personne vulnérable » ?
Il s’agit de mieux encadrer l’accompagnement de personnes âgées ou malades, en situation de handicap, en détention ou en situation de grande précarité sociale. Mais l’expression va même au-delà de ces seuls cas : elle englobe toute relation « asymétrique », comme l’est une relation d’aide, une relation soignante ou une relation d’enseignement. Car une personne se situe dans une position de vulnérabilité précisément parce qu’elle veut faire confiance à celui à qui elle demande de l’aide. Dans ces relations, l’un se trouve dans une position dominante au moins symboliquement… et l’autre est ou se fait vulnérable. Ainsi d’un catéchiste par rapport à un catéchumène, d’un prêtre par rapport à un pénitent, d’un accompagnateur par rapport à un accompagné, d’un directeur d’association ou d’aumônerie par rapport à un jeune en service civique qui fait partie de l’équipe d’animation, d’un soignant par rapport à un patient. Le droit reconnaît comme une circonstance aggravante du délit ou du crime commis le fait d’exercer une violence sexuelle ou autre dans le cadre de ce type de relation. Et nous avons eu ces derniers temps, dans l’Église, beaucoup de situations où des personnes majeures et a priori solides, se sont ainsi retrouvées dans une situation de vulnérabilité dont on a abusé.
Cette charte s’adresse donc à un public très large ?
Comme l’explique le vicaire général, elle concerne, en effet, tous les acteurs pastoraux. Certains évoluent au sein de mouvements, comme l’Enseignement catholique ou le scoutisme, qui ont parfois leurs propres dispositifs de prévention, donc ceux-ci ne sont pas concernés ; mais à tous les autres, qui sont directement engagés dans des services de type catéchisme, aumôneries, patronages, préparation aux sacrements, catéchuménat, pastorale des jeunes ou de la santé, il sera demandé de la signer, ainsi que la lettre d’engagement, et de fournir un extrait de casier judiciaire.
Ne craignez-vous pas de donner l’impression de suspecter des « abuseurs en puissance » parmi toutes ces personnes qui donnent de leur temps avec beaucoup de générosité ?
Il ne s’agit en aucun cas de suspecter tout le monde… Mais, désormais, nous ne pouvons plus faire comme si le risque n’existait pas. L’enjeu, c’est plutôt de mieux protéger toute personne dans son engagement et, avec elle, les personnes qui lui sont confiées. La charte a simplement vocation à être un outil qui, au moins, permet au sujet d’exister. Que cette charte soit écrite et soumise à la signature de chaque personne engagée invite chaque équipe à échanger sur ce sujet, donne des repères clairs et partagés par tous, explicite le cadre des conditions normales de l’exercice d’une mission. Et, surtout, elle fait appel à l’intelligence des situations. Par exemple, la charte réclame de ne jamais être seul avec une personne mineure ou vulnérable : nous savons que ce n’est jamais complètement possible. Mais l’écrire permet d’insister pour que cette situation reste une exception que l’on doit pouvoir expliquer et que tout doit être fait, dans l’organisation d’une activité, dans la disposition d’un lieu, pour qu’elle se présente le moins possible. Autre exemple : les gestes familiers. Nous n’avons pas détaillé ce qu’est un « geste familier » : à chacun, en conseil paroissial, en équipe d’aumônerie, en service, de s’interroger, d’exprimer une gêne si tel a eu un geste qui a paru déplacé à tel autre. La charte donne des repères, pose les questions et invite à la réflexion.
Le risque d’une charte, c’est aussi qu’elle soit signée, mais qu’elle reste lettre morte…
Tout à fait. C’est pourquoi notre objectif aujourd’hui n’est pas de récolter un maximum de papiers signés et d’extraits de casier et de considérer que le travail est fait, mais plutôt de laisser le temps à tous de s’approprier ce document et de réfléchir, personnellement et en équipe, à la façon de l’incarner. Il nous faut accepter collectivement que ce sujet de la prévention des abus est devenu une exigence, au même titre que celui de la sécurité incendie ou de l’accessibilité PMR. C’est une donnée à intégrer dans nos pratiques, non parce que nous suspectons tout le monde d’être un prédateur, mais pour permettre à tous ceux qui veulent s’engager de le faire dans de bonnes conditions, avec un cadre de référence posé et clair. Ce qui n’a pas toujours été le cas dans l’Église et dans la société civile et, malheureusement, on en connaît désormais les conséquences.
Propos recueillis par Amaury Guillem